Cabinet d'avocats GORRIAS

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La nouvelle contribution pour la justice économique : une usine à gaz à la française

La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 a instauré une expérimentation affectant la justice commerciale, pour une durée de 4 ans à partir du 1er janvier 2025, en créant :

- des Tribunaux des activités économiques (TAE), juridictions spécialisées chargées de traiter les procédures collectives et certaines affaires liées aux difficultés des entreprises, outre les contentieux déjà connus des tribunaux de commerce ;

- une contribution financière sensée assurer le financement de cette nouvelle justice économique,

Les modalités pratiques de cette contribution (montant, modalités de paiement, sanctions) ont été précisées par le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, entré en vigueur au 1er janvier 2025.

Une circulaire de 19 pages a été diffusée le 6 février 2025 pour expliquer le fonctionnement.

Ainsi, douze tribunaux de commerce (Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre, Versailles) ont changé de dénomination au 1er janvier 2025 pour devenir chacun « Tribunal des Activités Economiques » (« TAE ») dans le cadre de cette expérimentation.

Le justiciable et les praticiens vont se trouver, une fois encore – après les Tribunaux d’Instance et de Grande Instance devenus Tribunaux Judiciaires – confrontés à des frontispices marqués du signe séculaire « Tribunal de Commerce » alors qu’ils sont face à un « Tribunal des Activités Economiques ».

Cette nouvelle contribution, qui affecte notamment le recouvrement de créances et les contentieux commerciaux, soulève beaucoup de questions en pratique.

Elle introduit une disparité de traitement inexplicable en fonction du territoire et peut être anormalement pénalisante pour une société qui, quoique assujettie, se trouve en difficulté au moment de l’introduction de l’instance.

La contribution – uniquement devant les tribunaux listés ci-dessus - est à la charge du demandeur (hors procureur, état et autres collectivités) et n'est due que si le montant total de ses demandes excède 50.000 euros (les demandes relatives aux frais irrépétibles ne sont pas prises en compte dans le calcul de ce montant) au moment de l’enrôlement, sauf s’il dispose de moins de 250 salariés. En cas de pluralité de demandeurs, la valeur des prétentions est appréciée séparément pour chaque demandeur.

Cette contribution s’applique tant en référé qu’au fond.

Voilà pour le principe.

Toutefois, la contribution n'est pas exigible dans les cas suivants : demandes incidentes (y compris demande additionnelle donc), recours, demandes de modification ou d'homologation d'accords amiables, saisines sur renvoi après cassation, demande de procédure collective ou procédure amiable de règlement des difficultés d'une entreprise ou d'une exploitation agricole.

Cette contribution n’est pas forfaitaire, cela serait trop simple :

- Pour le demandeur personne morale, la contribution dépend du chiffre d’affaires et du bénéfice annuel moyen réalisé sur les trois dernières années.

Si le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions d’euros, aucune contribution n’est due.

Si le chiffre d’affaires annuel moyen est supérieur à 50 millions d’euros et inférieur ou égal à 1.500 millions d’euros sur les trois dernières années et, si le bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années est supérieur à 3 millions d’euros, le montant de la contribution est fixé à 3% de la valeur des prétentions dans la limite de 50.000 euros.

Si le chiffre d’affaires annuel moyen, sur les trois dernières années, est supérieur à 1.500 millions d’euros, le montant de la contribution est fixé à 5% de la valeur des prétentions dans la limite de 100.000 euros.

- Pour le demandeur personne physique, le taux varie entre 1% et 3% selon le revenu fiscal de référence.

Si le revenu fiscal de référence est supérieur à 250.000 euros et inférieur ou égal à 500.000 euros, le montant de la contribution est fixé à 1% de la valeur des prétentions dans la limite de 17.000 euros.

Si le revenu fiscal de référence est supérieur à 500.000 euros et inférieur ou égal à 1 million d’euros, le montant de la contribution est fixé à 2% de la valeur des prétentions dans la limite de 33.000 euros.

Enfin, si le revenu fiscal de référence est supérieur à 1 million d’euros, le montant de la contribution est fixé à 3% de la valeur des prétentions dans la limite de 50.000 euros.

Au-delà des difficultés de calcul de l’assujettissement et de la contribution des demandeurs français ou étrangers, la question est celle des diligences complémentaires à accomplir dans le cas où le litige dépasse 50.000 euros.

Le demandeur doit effet – nous dit le texte - joindre à l’acte introductif d’instance les documents justifiant de sa situation.

Est-ce à dire que tout demandeur doit fournir spontanément une copie du registre du personnel ou une attestation – et sous quelle forme – de ce qu’il emploie moins de 250 salariés au jour de la saisine du Tribunal ?

Et si ce n’est pas le cas, il va devoir produire ses comptes sur les trois dernières années (on suppose en pratique les trois derniers exercices).

La circulaire précise d’ailleurs que tout demandeur (y compris TPE et PME non concernés) doivent produire les comptes de résultats des trois derniers exercices avec liasses fiscales.

Il appartiendra alors au Greffier de déterminer si le demandeur est assujetti et d’effectuer le calcul de la contribution qui, en cas de non versement, entraînera l’irrecevabilité des demandes. Tout cela va donner naissance à un nouveau contentieux de niche sur cette question contributive.

Bien entendu, pour le demandeur susceptible d’être assujetti, bien des questions peuvent se poser comme la division des demandes (plusieurs assignations pour différentes factures), la cession de créances intra-groupe avant assignation, la demande additionnelle après enrôlement, le contentieux initialement indéterminé, les clauses attributives de juridictions pour échapper aux TAE etc. La circulaire prend les devants sur la question d’un jugement d’incompétence au profit d’un TAE, lequel donne lieu à paiement de la contribution auprès de la juridiction de renvoi sauf exception comme par exemple suspicion légitime ou récusation (en revanche, il n’y a pas de remboursement prévu de la contribution si le TAE se déclare incompétent).

Cette contribution fait bien partie des dépens, ainsi que le rappelle la circulaire.

Attendons de voir en pratique les conséquences de ces nouvelles contraintes.

On peut tout de même s’interroger sur l’intérêt de ce mécanisme compliqué alors que toute société qui engagera un contentieux d’un enjeu supérieur à 50.000 euros mais qui réaliserait moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou qui aurait moins de 250 salariés ne sera pas concerné par la contribution. De même, une personne physique demandeur à la procédure ayant moins de 250 salariés ne sera pas concerné. Autrement dit, l’essentiel du contentieux devrait échapper à la contribution mais pas aux complications administratives et procédurale. Tout au moins jusqu’à ce que le mécanisme soit généralisé et les seuils abaissés.

Pascal GORRIAS
10 février 2025